par notre journaliste, Marc G. Carbonneau
Il y a quelque chose de particulier avec le lac Memphrémagog. Du plus loin que je puisse me souvenir, ce grand lac, qui s’étend de la ville de Magog jusqu’à Newport au Vermont, a toujours exercé sur moi un magnétisme hors de l’ordinaire. Bien que j’ai passé une partie de ma vie tout près, à Orford, le « Memphré » a toujours été un joyau inaccessible, peut-être à cause des domaines cossus (et inabordables) qui le bordent, ou par le fait que nous n’avons jamais eu le pied marin dans ma famille (un pédalo, ça ne compte pas), je me rends compte aujourd’hui que je ne fais que l’admirer depuis longtemps.
C’est un peu la même chose avec la montagne de Owl’s Head qui, elle, pointe un peu plus à l’est de Magog, carrément nichée sur les rives du lac, donnant l’impression que ses pistes se déversent dans le lac alors que son sommet étroit lui donne l’allure d’un volcan prêt à entrer en éruption. Tout le monde qui passe dans ce coin de pays a certainement vu la montagne, souvent du sommet de sa voisine et grande sœur à Orford, mais on dirait que ce n’est pas un naturel de s’y rendre.
C’est d’ailleurs lors d’une sortie familiale à Orford que mes gars m’ont demandé la première fois « c’est quoi la montagne là-bas ? » en pointant au loin. « Ça, c’est Owl’s Head » leur ai-je répondu en mettant l’intonation nécessaire sur le O et en prenant un léger accent anglais, pour bien marqué la chose.
Car c’est un peu ça Owl’s Head pour moi, une histoire de voisinage harmonieux entre les francophones et les anglophones des Cantons de l’Est, tout en gardant une mystique amérindienne puisque le nom de la station est une référence à un ancien chef Abénaquis ( prénommé Owl ) et non, contrairement à la croyance populaire, à une ressemblance avec la tête d’un hibou.
Depuis mes débuts en ski, mes quelques visites à la station de monsieur Korman, propriétaire unique de la montagne de 1965 jusqu’à l’an dernier, m’ont toujours satisfaite, mais sans plus. Il semblait toujours manquer un petit quelque chose et les installations, du chalet aux remontées mécaniques, devenaient, au fil des années, de plus en plus désuètes. C’est pourquoi l’annonce de l’acquisition de la station par un regroupement d’hommes d’affaires et les promesses d’investissements majeurs en découlant, ont piqués ma curiosité et fait en sorte que la famille a ajouté la nouvellement nommée Destination Owl’s Head à notre tableau de chasse de l’hiver.
Bien que la station semble moins accessible que ses consoeurs de la région comme Bromont ou Orford, l’itinéraire proposé par notre GPS indique un surprenant 1h15 de route de la maison, ce qui n’est pas trop mal pour un aller-retour dans la même journée. Il faut dire que la route pour se rendre à la montagne, une fois qu’on quitte l’autoroute 10 à la sortie d’Eastman, finit par faire partie de l’aventure grâce à la beauté des paysages et le dépaysement que procure l’architecture des bâtiments de ferme et des maisons anglo-saxonnes. Mêmes les garçons, qui ont souvent le nez collé sur leurs téléphones, ont répondu favorablement aux exclamations de leur mère et ses habituelles « regardez comme c’est beau ». J’en profitais pour admirer mois aussi le paysage, tout en gardant les deux mains sur le volant, légèrement crispé par une petite neige qui rendait la route un peu glissante, mais qui m’excitait grandement, sachant qu’elle allait faire de notre journée, une véritable « powder day », chose plutôt rare dans une saison de ski. En arrivant à la station, surprise, le stationnement est pratiquement vide, ce qui, pour notre petite famille, est automatiquement synonyme d’une belle journée, puisqu’il n’y a rien qui embête plus Gabriel (11 ans) que l’attente interminable aux remontés mécaniques et qu’un Gabriel heureux, veut dire une famille heureuse.
Rapidement, en entrant dans le chalet principal, on remarque les nouveaux aménagements promis. Tout est neuf et moderne, tout en demeurant sobre, et c’est avec une pointe de nostalgie que les souvenirs du vieux chalet me reviennent en tête. L’impression qu’on avait de se retrouver dans le chalet rafistolé de notre vieil oncle a fait place à une construction digne des grands centres de la province, avec beaucoup d’espace de rangement, une cafétéria moderne et une boutique offrant une vaste gamme d’équipement en plus de la mise à jour de la remontée quadruple. Mais, on le sait tous, ça ne sert à rien d’avoir les plus belles installations si le niveau de ski n’est pas à la hauteur et mes gars sont devenus, au fil du temps, des critiques redoutables.
Sauf que la montagne de Owl’s Head n’a rien à craindre, elle est assez impressionnante pour satisfaire les appétits les plus insatiables et en plus, le temps qu’on s’habille et qu’on embarque dans la chaise quadruple débrayable, il neige encore plus abondamment et on peut voir les traces fraiches des quelques skieurs présent sur place. Pour toutes les familles qui mettent les pieds au sommet de la montagne pour la première fois, ne vous posez même pas la question et dirigeaient vous vers la gauche, vers la mythique piste Lilly’s leap, une des plus belles pistes intermédiaires de la province. Autant par les points de vue extraordinaires qu’elle offre sur le lac Memphrémagog (et sur toute la région) que par son design agréable, cette piste est véritablement parfaite pour skier avec vos enfants, quel que soit leur niveau de ski.
Par beau temps, nous nous serions invariablement arrêtés pour admirer la vue, mais le plaisir aujourd’hui était ailleurs et on s’est plutôt amusé tous les quatre à tracer de longs virages dans une neige fraiche, en se la jouant Rocheuses Canadiennes ou même Alpes Autrichiennes, avec toute cette neige venant nous frapper les genoux à chaque virage.
Après la première heure de ski, alors que l’attente aux remontées mécaniques est inexistante et qu’on enchaine les descentes à un rythme infernal, ma femme, passionnée de photographie, décide de prendre un peu de temps pour immortaliser cette journée très spéciale et demande aux enfants de prendre la pause. Ils rechignent évidemment un peu, mais finissent par acquiescer à la demande, sachant très bien qu’une grande partie du bonheur de skier en famille est de pouvoir revisiter ces moments lorsque la neige fait place aux pluies du printemps et que les fins de semaine perdent de leur magie alors que les skis sont rangés.
C’est avec les cuisses qui commencent déjà à chauffer, gracieuseté de la poudreuse, qu’on décide de prendre une pause pour diner. Les prix demeurent un enjeu majeur lorsqu’on mange en famille dans une station de ski et il n’y aura pas d’exception ici, mais l’offre de nourriture à la station est plus que convenable, alors qu’on trouve même un plat du jour surprenant (un véritable Osso Buco) pour 12$. En faisant mon petit tour d’observation (je me la joue Colombo depuis que j’écris pour vous), j’ai même découvert qu’il y avait un tout nouvel hôtel à même le chalet de ski offrant des chambres neuves, vraiment magnifiques, à partir de 140$ par nuit pour une famille de quatre. C’est une option intéressante pour ceux et celles qui veulent venir explorer la région en profitant d’un ski-in/ski-out beaucoup moins dispendieux que la plupart des condos Airbnb offerts dans la majorité des stations de la province. En après-midi, la brume ayant décidé de prendre possession du haut de la montagne, on en a profité pour s’aventurer dans les quelques sous-bois de la station, dont le fameux Khandarar, piste étroite où les arbres vous font sentir que vous foulez leur territoire et qu’ils ne feront aucun effort pour vous facilitez le passage.
C’en est un peu trop pour mes « vieilles » jambes et c’est à contrecœur que j’annonce la fin de la journée, alors que mon grand Xavier, ayant découvert un beau « jump » à l’embouchure d’une des pistes, y va d’un 180 degrés comme si c’était tout à fait naturel. Le temps passe trop vite et de voir mes enfants faire leur propre « tricks » me replonge à l’époque où j’avais leur âge et que je regardais, de loin, cette montagne à la forme distincte en ayant l’impression qu’elle ne m’était pas destinée. Heureusement, des journées comme celle qu’on vient de vivre prouve que, la plupart des temps, les perceptions peuvent changées et qu’on a tous quelque chose à découvrir chez le voisin, surtout quand il partage un tel terrain de jeu avec vous !
Votre journaliste en résidence,
Marc G. Carbonneau