-Un patriote mène toujours ses combats à terme-

Auteur : Matis Boyer, cycliste CX

14 juillet 2014, Arenberg, France : Lars Boom remportait la 5e étape du Tour de France sur les pavés mythiques de Paris-Roubaix et dans des conditions climatiques exécrables. 5 ans plus tard, l’homme de la formation Roompot Charles se présente dans la petite ville de Burke au Vermont dans l’espoir de vivre à fond l’expérience des courses de gravelle.  Ce qu’il ignorait cependant, c’était qu’il était pour affronter de nouveau des conditions infernales, probablement  pires que celles qui lui ont permis de s’imposer lors de la désormais célèbre 5e étape du tour 2014. Et pour vivre cette expérience, il a choisi de participer à la Rasputitsa Gravel Race, cette course où le plaisir, l’amitié entre coureurs et la bonne humeur sont davantage mis de l’avant que le fait de remporter les grands honneurs.

Rappelons que pour le paysan de la campagne russe, Rasputitsa signifie le temps de l’année où la neige fond pour laisser place, dans les champs, à une mer de boue. Mais pour le crossman ou pour le coureur  sur route nord-américain, Rasputitsa réfère plutôt à l’une des plus prestigieuses courses de gravelle au monde. Chaque année,  à  la fin avril, près de 1000 cyclistes se rejoignent sur les routes de gravelle et de terre battue du Vermont pour y participer. Cette année,  1400 mètres de dénivelé positif et 47 miles étaient  au menu de la 9e édition de la course. Pour cette édition, les organisateurs avaient choisi de reporter d’une semaine la tenue de l’événement en espérant des conditions météo plus clémentes que par les années passées; ironie du sort, Dame Nature en avait décidé autrement.

Et aujourd’hui, je vais vous raconter ma première expérience du Rasputitsa 2019

Matis Boyer au départ Rasputitsa 2019, crédit Cyclepresse

Arrivé en fin d’après le vendredi, après trois heures de route à écouter Vilain Pingouin, The Pogues, Aznavour, Billy Bragg et The Clash,  nous sommes arrivés dans la pittoresque petite ville de Burke, pour ensuite  nous diriger vers le complexe de Burke Mountain pour confirmer mon inscription et prendre possession  de ma plaque de course. Après avoir fait le tour des kiosques des différents exposants présents sur place,  mon père et moi avons pris la direction de notre somptueux motel 2 étoiles situé à environ 20 minutes du départ de la course.

27 avril, 5 h 15 du matin : réveil, douche chaude, déjeuner, révision du matériel requis, départ du motel en direction de Burke; vers 7hr AM arrivée sur les lieux de la course. Devaient  suivre deux heures normalement dédiées à ma préparation mentale. Mais ce matin-là, ce fut tout à fait différent : cinq minutes après le laborieux stationnement de mon père dans le parking, une violente averse s’abattit soudainement sur nous. L’anxiété s’empara graduellement de moi en voyant que le débit de cette pluie ne faisait  qu’empirer. C’était un véritable déluge! Et pour aider mon moral,  environ une heure avant le départ,  la grêle s’est même mise de la partie pour une dizaine de minutes. C’est donc sous une pluie battante que j’ai été me positionner  au départ. Je me suis mis à l’aise dans ce peloton en me plaçant  environ en 3e ligne, avec à mes côtés, le légendaire couple Bessette/ Johnson sur un tandem, Lars Boom et le futur gagnant de la course le fougueux Raphael Auclair. C’est à ce moment-là  que nous apprîmes que le parcours avait dû être changé. En effet,  la section Cyberia (qui consiste en une section de portage, en remontant un ruisseau sur plus de 3 kilomètres) avait été annulée, car le débit du courant était trop élevé, ce qui était donc trop dangereux pour nous, les coureurs.

S’ensuivit le départ et une longue descente d’environ 5 kilomètres supposément neutralisée. La  nervosité dans le peloton était palpable. Malgré le froid, on pouvait sentir la chaleur des freins à disques qui surchauffaient. Par miracle, nous avons finalement terminé la descente sans incidents majeurs pour tout de suite entamer la première montée asphaltée de la journée. Le peloton s’est donc rapidement scindé en deux.  À l’entrée du premier secteur de gravelle, nous étions plus qu’une quarantaine de coureurs au- devant de la course. Suite à l’impulsion des hommes de chez Pivot Cycling Team,  j’ai été décroché du peloton de tête ou comme le disent si bien nos amis flamands « Kop van de Wedstrijd ».  C’est donc avec les doigts gourds, seul en chasse patate et avec le moral dans les talons, car je croyais pouvoir rester avec les cadors plus longtemps, que je me suis retrouvé intercalé entre deux groupes. Quelques minutes plus tard, j’ai été repris par un groupe de coureurs de mon calibre parmi lesquels je reconnus certains d’entre eux ce qui me permit de retrouver mes repères. Le gout de la course me revint alors!

Matis Boyer, Rasputitsa crédit photo: Julien Payette-Tessier Pétéphotographie

J’étais donc dans de très bonnes dispositions. Nous avons passé les relais pendant plus de 10 kilomètres avant d’amorcer la plus longue, difficile, mais surtout souffrante montée de la journée. Sous cette pluie torrentielle et avec des fourmis dans les jambes,  j’ai lancé une attaque dès le début du col qui eut pour effet de scinder notre groupe en deux. Plus nous montions, plus il faisait froid et plus j’avais les doigts totalement gelés. Nous sommes arrivés au sommet avec un groupe d’environ 10 coureurs, mais surtout avec de la neige qui poudrait. Cette neige dura jusque dans le milieu de la descente où elle redevint de la pluie battante. À ce moment,  j’ai réalisé que mes freins étaient en train de me lâcher. Je me suis donc laissé décaler pour ne pas causer de chute dans la descente. Mais arrivé dans la vallée, je n’ai pas été capable de recoller à mon groupe. J’ai probablement ressenti le même état d’esprit (toute proportion gardée) qu’Andy Schleck entre le bas de la décente du col de l’Izoard et le début du Galibier lors de sa légendaire échappée solitaire victorieuse à l’occasion de la 18e étapes du tour de France 2011, c’est-à-dire la solitude d’être isolé dans la vallée : le cadet des frères Schleck se battait pour le maillot jaune du tour et une prestigieuse victoire d’étape, mais moi je luttais pour ma survie, car j’étais alors totalement frigorifié et  en hypothermie.

Au pied de la difficulté suivante, j’ai été repris par le groupe de Maghalie Rochette, j’étais donc avec des personnes que je connaissais très bien et avec qui j’étais confiant. Nous avons roulé tempo toute au long de l’ascension jusqu’au moment où la neige a refait son apparition. Rendu au sommet, je me suis aperçu   que je n’avais plus du tout de freins. Malgré qu’une personne chère à mes yeux m’ai  ordonnée d’être prudent et de ne pas prendre de risques (elle se reconnaitra), je me suis quand même lancé à toute vitesse et témérairement dans cette descente qui m’était inconnue. Encore une fois je me suis décalé dans l’espoir de ne pas chuter, mais dans la descente l’inévitable arriva… ainsi.

Matis Boyer, Maghalie Rochette (arrière-plan) crédit photo: Julien Payette-Tessier Pétéphotographie

C’est alors qu’une longue ligne droite suivie d’un virage à droite s’est présentée devant moi. La vitesse a exponentiellement augmenté, j’essayais de freiner, mais rien ne répondait. Tel Fred Caillou dans Les Pierreafeu,  j’ai alors tenté de mettre mes pieds par terre pour ralentir ma vitesse, mais rien à faire. J’ai donc remis mes pieds dans mes pédales, car je devais tenter d’effectuer le virage sans chuter. C’est donc à plus de 60 km/h que j’ai pris le virage à l’intérieur et que j’ai chuté, en vol plané, pour aboutir tête première dans le fossé gorgé d’eau glacée. L’impact fut si fort que j’ai brisé mon casque. Après quelques minutes,  j’ai repris mes esprits, je me suis relevé et j’étais seul au monde. Personne à l’horizon. Je me suis tâté pour vérifier si j’étais toujours en un seul  morceau, et c’était miraculeusement le cas. Je suis donc reparti pour dévaler le reste de la pente en courant à la droite de mon vélo pendant plus d’une dizaine de minutes qui m’ont semblé durer une éternité. Il pleuvait toujours à boire debout quand j’ai atteint un ravitaillement. À mon arrivée, j’ai pensé à abandonner, mais j’ai lu ce qui était écrit sur le dessus de ma potence – Jamais Abandonner- et j’ai pensé, car je suis natif de la région de Saint-Hyacinthe, à la Rébellion des Patriotes de 1837-38. Je me suis dit que si ces héros avaient pu se battre toute un l’hiver dans le froid et la neige, je pouvais terminer les 8 derniers miles de cette course. J’étais donc décidé à continuer! Mais j’avais alors les doigts trop gelés pour réparer mes freins, il a donc fallu que j’explique à quelqu’un comment effectuer l’opération. Après un long moment à essayer, ses efforts ont porté fruit et j’ai pu repartir pour les 8 derniers miles avec un semblant de freins.

À mon départ, j’étais totalement sonné, dépourvu d’énergie et en hypothermie. La seule motivation qui me restait, était alors de finir la course, mais j’étais aussi très préoccupé, car je savais que quelque chose n’allait pas. J’ai donc fait la dernière montée de la journée, qui me parut durer des heures, mètres par mètres. J’ai enfin atteint la ligne d’arrivée après plus de 2h45 de course.

Même si j’avais terminé l’épreuve, je n’étais pas heureux : je savais que mon état de santé n’était pas normal et que je devais aller aux premiers soi notre retour dans mon patelin natal à Saint-Hyacinthe,  nous nous sommes rendus chez le médecin. Bilan : commotion cérébrale, multiples côtes fêlées, ecchymoses et courbatures qui perdurent toujours.

Malgré toute les péripéties vécues,  j’ai aimé mon expérience à cette course et je me  souviendrai toujours des  conditions météorologiques  extrêmes mais aussi j’en garderai  des souvenirs indélébiles (du moins ce qui en reste) et je n’oublierai pas  les quelques neurones  perdues au combat.  Et je serai de retour en 2020 pour affronter cette course légendaire  qui n’a rien à envier aux autres grandes courses comme : le Ronde Van Vlaanderen, Strade Bianche, Paris-Roubaix, etc.

Je vous retrouve pour une prochaine excursion,

Votre auteur, Matis Boyer